« L‘église appartient aux pèlerins, car il est bien sûr que l’abbé Odolric, qui en entreprit la
construction vers le milieu du XIième siècle, ne l’eût pas menée à bien si leur humble, mais quotidienne obole, ne s’était ajoutée aux libéralités royales. C’est pour leur permettre de respirer
nombreux sous les voûtes que celles-ci montent à vingt-deux mètres et que, plus haut encore, la lanterne du transept verse l’air et la clarté. C’est
pour eux, ici comme a Santiago, que la déambulatoire tourne autour du choeur où siégeait, renfermant ses reliques, la statue en or de Sainte-Foy (…)
Elle est la foie qui soulève les montagnes : à qui chemine vers Saint-Jacques, elle les fera traverser, puis s’en revenir paisiblement, « vivre entre ses parents le reste de son âge » sans avoir
connu l’injure des Maures, ni la lente agonie dans leurs prisons. Sa robe n’est-elle point semée d’antiques camées à l’image des faux dieux contraints de s’incliner devant La Majesté de sainte
Foy ? Les pèlerins avaient ainsi surnommé la statue devant laquelle ils pliaient le genou. (…)
Vers cinq heures de l’après-midi, les touristes en auto sont repartis. Il ne reste avec moi dans le Sacrarium où nous guide un Prémontré, que des gens du pays, fils de ceux qui, à la Révolution, sonnèrent le tocsin quand les délégués de la Convention vinrent chercher les précieux reliquaires déjà cachés dans leurs chaumières. Je voyais ces paysans observer un silence respectueux en regardant la sainte et tous ces joyaux qui sont sa propriété : tels le coffret d’or et de pierreries sur lequel s’affrontent deux colombes, le reliquaire en forme dA donné par Charlemagne, ou celui nommé par eux le falot de Saint-Vincent parce qu’il ressemble à une laterne. (…)
J’achève la journée dans le petit cimetière qui surplombe le ravin où l’Ouche s’écoule en torrent, ainsi que l’Anio dans la gorge de Subiaco où saint Benoît se retira du monde. C’est toujours la même sauvage beauté qui attire les solitaires, et à leur suite une foule d’autant plus ardente a les découvrir qu’ils ont pris plus de soin de se cacher. Je reconnais ce murmure d’eau, ces rochers, ces bois. »
(A. Mabille de Poncheville, Le chemin de Saint-Jacques, Paris : Bloud & Gay, 1930, pp. 60-63)