Les chansons de geste et le pèlerinage

Une chanson de geste est un récit versifié qui raconte en grande partie les exploits des Carolingiens ou bien les actions guerrières. Les chansons de geste sont mises à l'écrit dès la fin du XIe siècle. En ce qui concerne leur forme, elles sont divisées en laisses (des strophes de longueur irrégulière) assonancées.[1] Les épopées françaises, au nombre d'environ 80, sont pour la plupart en décasyllabes, comme dans notre exemple (et plus tard en alexandrins):

 

La voiz del ciel i tramist saint Martin

Qi en sevra le lignage Caïn,

Car sor chascun fist croistre un albespin.

Encor les voient li gentil pelerin

Qi a seint Jaque en vont le droit chemin.

Charles se drece, si tint le chief enclin ;

Ses els essue al pan de son hermin.

 

Charles se drese, si a fait un sospir,

Vit tote l’ost a une voiz fremir ;

Des Sarazins n’i pot un seul cosir,

Car Deus les fist espines devenir,

Pognanz et aspres, si ne poent florir.

« Baron, dist Charles, ben devon Deu servir ;

Nus ne se doit esmaier de morir… » [2]

 

 

Il s'agit des laisses de la Chanson de Roland qui représente un exemple de chanson de geste classique de la fin du XIe siècle. Le poème présente la situation après le combat de Roland contre la puissante armée maure à Roncevaux, où Charlemagne fait porter les morts à un charnier en priant pour la « sevrance » des chrétiens.

 

D’après la théorie traditionaliste, les chansons de geste sont nées sous le coup d’un évènement, étaient des cantilènes que des jongleurs ont fait circuler et qui ont été enfin mises à l'écrit dans des monastères. On a pensé que la tradition des chansons de geste avait commencé avec un évènement historique.

 

Au contraire, la théorie individualiste de Joseph Bédier impute la formation des chansons de geste aux étapes du pèlerinage ou plutôt aux lieux du pèlerinage.

 

En comparant et en analysant les chansons de geste, il les a classées et on est arrivé à une conclusion surprenante face aux théories communément acceptées. D’après Bédier, la tradition est moins riche et moins variée qu’on l’avait admis jusqu’alors. De plus, les textes les plus anciens possèderaient un fond commun :

 

Il faut dire que les chansons de geste aient été composées sur les souvenirs altérés par le temps ou qu’on ait sciemment enjolivé et même faussé l’histoire.

 

 

La thèse de Bédier signifie donc que les cantilènes n’ont jamais existé et que les chansons de geste ont été créées sciemment vers la fin du XIe siècle. À l’époque, le pèlerinage avait gagné en popularité, entre autres grâce à la reconstruction de la basilique de Saint-Jacques de Compostelle. Bédier a travaillé avec une méthode historique qui consiste à expliquer les œuvres par le milieu où elles plongent, donc dans l’espace des XIe et XIIe siècles. Il a analysé toutes les indications du lieu, des noms de saints, des noms des églises et des tombes de saints. Ce faisant, il a localisé les épopées. Il en résultait que toutes ces localisations indiquaient des églises, des sanctuaires et des monastères qui se trouvaient près des routes d’accès aux plus fameux pèlerinages.[3] En fait, le corps de Roland aurait été emmené par Charlemagne à l’église Saint-Romain de Blaye et l’olifant appartiendrait à l’église Saint-Seurin de Bordeaux. Bédier en a conclu que les épopées étaient créées dans l’environnement des personnes qui souhaitaient populariser les légendes appartenant à leurs églises ou leurs monastères.

 

 Au commencement était la route. En tout pays, dans tous les temps, les hommes ont peuplé de légendes les routes vénérables.[4]

 

 

Les romans du XIIe siècles sont des romans du XII siècle et il faut les expliquer par cela que nous savons du XIIe siècle ou plus tôt, et non par cela que nous ignorons du siècle de Charlemagne ou du siècle de Clovis.[5]

 

Avant la chanson de geste, la légende : légende locale, légende de l’église, au commencement était la route, jalonnée de sanctuaires.

 

 

Déjà avant la formation des épopées, on a parlé de la route et des héros qu'étaient Charlemagne et Roland. Des chroniques comme la Vita Karoli Magni, écrite par Eginhard, les mentionnent et elles offrent aux clercs la matière pour créer les chansons de geste au long de la route en profitant d’une atmosphère légendaire. Apparemment, le poète devrait être inspiré par les chroniques et en plus par l’ « imagination cléricale ».

 

 



[1] ENGLER, W.: Geschichte der französischen Literatur im Überblick. Stuttgart 2000. p. 24 s.


[2]BEDIER, J. : Les légendes épiques. Edition III. Paris 1929. p. 325.


[3] Voir les: Vorlesungen zur Geschichte der französischen Literatur. Mittelalter.de Erich Köhler dans.

http://www.freidok.uni-freiburg.de/volltexte/2793/pdf/Mittelalter_1.pdf

(Accès: 10.03.2011)

 

[4]BEDIER (1929), tome 3, p. 367.

 

[5]BEDIER (1929), tome 4, p. 431.

Sprachen und Sprachpolitik entlang des Jakobsweges, Romanisches Seminar der CAU zu Kiel: 28.05.2013
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EUROPA AUF DEN JAKOBSWEGEN            KIEL, LANDESHAUS: 22. 11. – 19. 12. 2011 | CENTRE CULTUREL FRANÇAIS, KIEL: 24.01. - 24.02.2012
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Congress Santiago (21./22.10.2011)
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